Conçus comme une réponse aux grandes transformations qui affectent les sociétés contemporaines (Besson, 2017; Gil et al, 2019) les tiers-lieux explorent et mettent en place de nouveaux modèles de coopération, de travail, d’intelligence collective et de sociabilité dans les espaces urbains et ruraux (Suire, 2016; Pélissier et Dechamp, 2017). Quelles que soient leurs histoires respectives, tous ces espaces intermédiaires participent à un mouvement de plus grande ampleur, quasi global mais certainement européen qui reflète les transformations sociétales de nos temps: les mutations dans le monde du travail, l’émergence de la société de la connaissance et la transition numérique. De ce fait, les pouvoirs publics les considèrent désormais comme des acteurs-clés de la cohésion et de l’innovation territoriales.

Selon les auteurs du rapport de France Tiers Lieux (2021), le numérique serait une composante essentielle "de l’ADN de ces lieux de transition agiles, de ces nouveaux espaces de collaboration horizontaux". Le même rapport constate que, pour 50% des Tiers-lieux, l’inclusion numérique est un fort axe de développement de leurs activités. Suite à un appel lancé en 2019, 32 tiers-lieux ont été labellisés "Fabriques Numériques du Territoire", un label accordé à une diversité d’espaces qui fonctionnent comme des lieux de sociabilité proposant de nouvelles formes de travail (co-working…) et d’expérimentation (Fablabs…) au coeur des territoires. Ces lieux se sont construits autours d'objectifs communs : pluralisation de l’espace public, révélation des jeunes talents, valorisation des initiatives locales citoyennes et solidaires, mais aussi éducation aux médias et à l’information, parfois en partenariat avec les structures institutionnelles dédiées et parfois même formation aux outils de production (presse, audiovisuel, web), en accordant une importance grandissante aux technologies numériques comme formes d’empowerment citoyen. Ces lieux alternatifs, en constituant eux-mêmes des « micro-espaces publics » (Palliart, 2013) partiels et autonomes sont-ils vraiment en mesure de contribuer à la pluralisation et l’ouverture de l’espace public et à une nouvelle "intelligence" des territoires ? Comment est-ce qu’ils contribuent à la transition digitale ?

Alors que l’essor non démenti des tiers-lieux en tous genres suscite un véritable engouement de la part des pouvoirs publics mais aussi de la sphère académique, il semble donc pertinent de réévaluer à nouveaux frais le rôle social et politique, au plan local, de ces acteurs. Comment les fabriques numériques du territoire se définissent-t-elles? Quels sont ces traits caractéristiques et communs? Quel est leur rôle vis-à-vis la transition vers une société numérique inclusive? L’éducation aux médias et à l’information (EMI) et les technologies numériques pourraient-elles apporter une réponse efficace et durable aux fractures territoriales ? Quelles transformations organisationnelles ont vu le jour en réponse à la pandémie de Covid-19, notamment dans les territoires les plus fragiles ?

Pour répondre à ces questions nous nous appuyons sur une étude comparative des sites internet des 32 tiers lieux labéllisés Fabriques numériques du territoire. L’objectif de cette démarche est de nous permettre de préciser la morphologie de ces lieux et le type des activités qu’ils organisent, ainsi que ses publics. Le deuxième objectif est de mieux comprendre l’ensemble des exigences auxquelles les tiers lieux labelisés doivent répondre.

Un second travail pour répondre à ces questions consiste à deux études de cas situés dans le territoire de la region Sud : celle de l’Hublot et celui de la Fabulerie. L’Hublot est un centre de création numérique tiers-lieux situé au cœur des quartiers Est de la Ville de Nice, quartiers dits prioritaires, subissant une pauvreté et un chômage élevés qui a été labellisé fabrique numérique du territoire en 2019. Le deuxième est La Fabulerie qui se define comme un tiers-lieu culturel et numérique à Marseille, mais qui n’est pas labellisé. A la fois fab lab, espace de formation, espace de co-working et de creation, les deux espaces sont un référent concernant la culture numérique. Ces deux cas nous permettent une analyse de contenu plus approfondie. Leur comparaison conduit à dégager une série des questions sur la valeur des labels comme outil de dialogue entre les politiques publiques et les acteurs du terrain.

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

BESSON. Raphaël. Rôle et limites des tiers-lieux dans la fabrique des villes contemporaines. Territoires en mouvement, Lille, v. 34, 2017.

BURRET, Antoine. Tiers-lieux… Et plus si affinités. Paris: FYP, 2016.

FRANCE TIERS LIEUX, “Nos territoires en action”- dans les tiers-lieux se fabrique notre avenir, 2021 disponible à : https://francetierslieux.fr/rapport-tiers-lieux-2021/

GILL, Rosalind; PRATT, Andy; VIRANI, Tarek. Creative hubs in question: place, space and working in the creative economy. Cham: Springer, 2019.

LEVY-WAITZ, Patrick. Mission coworking: faire ensemble pour mieux vivre ensemble. Paris: Fondation Travailler autrement, 2018

MAGKOU, Matina; HURET, Laura; LAMBERT, Vincent. Community-driven cultural spaces and the COVID-19 pandemic. In: DE MOLLI, Federica; VECCO, Marilena (ed.). The metamorphosis of organisational space in cultural and creative sectors. Oxford: Routledge, 2021

MASSI, Marta; VECCO, Marilena; LIN, Yi (ed.). Digital transformation in the cultural and creative industries: production, consumption and entrepreneurship in the digital and sharing economy. Abingdon: Routledge, 2020.

PAILLART, Isabelle, Médias et territoires : l’espace public entre communication et imaginaire territorial, Lille, Presses du Septentrion, 2013.

PÉLISSIER, Maud; PÉLISSIER, Nicolas (ed.). Métamorphoses numériques : art, culture et communication. Paris: L’Harmattan, 2017.

PÉLISSIER, Maud. Le déploiement des innovations sociales numériques dans les fablabs, Terminal, Paris, v. 122, 2018.

PÉLISSIER Maud et DECHAMP Gaëlle. (2017). « Intelligence territoriale, territoire créatif et living labs », in « Attractivité et compétitivité des territoires ; théories et pratiques », dirigé par Coussi O. et Auroy P., édition CNER, pp. 29-40.

PÉLISSIER, Maud. Les communs culturels dans l’écosystème numérique. London: ISTE; Hoboken: Willey, 2021.

SUIRE, Raphaël. La performance des lieux de cocréation de connaissances. Le cas des Fablabs. Réseaux, v. 2, n. 196, p. 81-109, 2016.

VALLAT, D., Que peut-on apprendre des tiers-lieux 2.0 ?. XXVIe conférence de l'AIMS (Association Internationale de Management Stratégique), Structure Fédérative et de Recherche MAELYSE (Management-Economie-LYON-Saint-Etienne), Jun 2017, Lyon, France